« La Boîte a souvenir: l’idée est de réunir dans un lieux les numero du Peuple Valdôtain qui ont marqués la vie de tout les Valdôtains ».
J’aime la Foire de Saint-Ours … Des milliers de montagnards accourent ce jour-là des villages les plus reculés de la Vallée d’Aoste; de la place Emile Chanoux à l’Arc d’Auguste je ne coudoie que des paysans, ‘je n’entends que parler patois, je ne vois que, des têtes de chez nous. Autour des millénaires Portes Prétoriennes, au carrefour des vieilles rues St. Anselme, Flouves et Vevey, dans un quartier qui a gardé son cachet d’antan, les artisans ont dressé leurs étalages d’objets en bois : échelles, râteaux, barattes, barriques, baquets, paniers d’osier, moules à fromages, louches, cuillères, sabots et mille autres choses utiles au fermier et à la ménagère. Plus loin, les fées de Cogne montrent leurs précieuses dentelles fabriquées sur les métiers de leurs grands-mères. Des deux côtés de la rue St. Anselme, les sculpteurs de Valtournenche, de St. Nicolas, de Pré St. Didier, d’Ayas, de Bionaz, ont exposé leurs bibelots rustiques : chamois, bouquetins, aigles, vachettes, grolles, statues de saints, masques taillés dans l’écorce, minuscules sabots de poupées.
Le clocher roman de St. Ours, la tour carrée du moyen-âge, les murs et l’amphithéâtre romains regardent ce spectacle qui se répète depuis le Xlme siècle et qui n’a guère changé. C’est les mêmes objets, les mêmes paysans, la même langue qu’au moyen âge.
– Entends-tu cet artisan de la basse Vallée – demande la tour au clocher – entends-tu qu’il dit encore
“ oi! .. comme les maçons qui nous ont bâtis ? « ·
“ Comme c’est vrai, comme tu as raison! “ répond le clocher tout heureux. Et ils se sentent tout à coup plus jeunes, et je me sens plus jeune aussi.
J’aime la Foire de Saint Ours. Ce jour-là, la ville d’Aoste redevient valdôtaine. Ce jour-là je me sens de nouveau chez moi, dans mon pays, dans ma patrie. Un air pur, descendu des monts, a balayé les miasmes des marais pontins. Je respire profondément, je fais provision d’oxygène, je me lave des souillures et des contaminations de toute l’année.
Le clou de la Foire est constitué par l’exposition de sculptures et de bibelots en bois. Cette année nous avons constaté une sensible évolution dans le style et le choix des sujets. Les grolles, moins abondantes que d’habitude, étaient travaillées d’une façon plus simple. Moins nombreuses, également, les reproductions de châteaux. Abondante, au contraire, la production de masques taillés dans l’écorce et d’objets – personnages ou animaux – tirés de racines ou de branches biscornues.
Devons-nous attribuer ces changements à un défaut de patience, à une évolution du goût, aux conseils de quelques artistes cultivés comme Amédée Berthod, Mus, Nex, qui suivent depuis des années le travail .de nos sculpteurs des campagnes? Je penche pour les deux dernières explications. Nos sculpteurs évoluent vers un genre à la fois plus moderne et plus antique. Selon certains critiques, ils retourneraient aux sources, aux véritables origines de l’art valdôtain. Un procédé particulièrement intéressant est celui qui consiste à tirer un objet de racines ou de branches dont les formes originales ont frappé l’attention de l’artiste. Il y a là une sorte d’intime collaboration avec la nature qui développe l’esprit d’observation et l’imagination. Mais l’artiste qui applique ce procédé doit être doué de beaucoup de finesse et de sensibilité, sous peine de tomber dans la bizarrerie et d’enfanter des monstres. Le coup de ciseau doit être donné au bon endroit, après une longue méditation, il doit être complémentaire. C’est de l’art socratique,
Dans ce domaine, les chefs-d’oeuvre sont encore rares. Nos artistes font leurs premiers pas dans une voie nouvelle. On dirait que notre artisanat artistique subit une crise de croissance. Des thèses opposées s’affrontent. J’ai entendu des membres du Jury soutenir que les écoles inibissent le sentiment, atrophient la sensibilité, tuent le génie inventif. Il y a les partisans de la spontanéité et les partisans de la règle, ceux qui défendent un art naïf, ceux qui prônent un art savant.
“ Qui dit oeuvre d’art dit originalité “, s’écrie le premier, » votre prétendu art savant n’est que technicisme, platitude, vulgarité ! » – « Qui dit oeuvre d’art dit harmonie, proportions ‘ » réplique l’autre, » votre art naïf n’est qu’ébauche, désordre, anarchie! » D’un côté l’on soutient que nos sculpteurs ont intérêt à travailler pour la masse; de l’autre, l’on affirme qu’ils gagneraient davantage s’ils travaillaient pour l’amateur.
C’est l’éternelle dispute sur le beau, le bien, l’utile.
Mais c’est une dispute féconde, stimulante, formatrice. Si elle est bien menée, elle peut aider l’artiste à mieux se connaître, à se corriger de ses défauts, à découvrir sa vocation. Or la question est toute là: aider l’artiste à découvrir sa véritable vocation. Il ne s’agit pas d’abandonner le vieux pour le nouveau, ni de repousser le nouveau pour rester fidèle au vieux.
Il s’agit, pour chacun de nous, de faire ce qu’il fait le mieux. Ce n’est qu’ainsi que l’on sauve l’originalité de l’artiste et la variété de la production. Il faut donc encourager la discussion. Que chacun dise ouvertement son opinion. De la confrontation de vérités partielles et apparemment contradictoires surgira la vérité totale, la synthèse, la conciliation.
Le problème de l’artisanat artistique mérite d’être étudié avec attention. Son intérêt économique, quoique inférieur à celui d’autres secteurs comme l’agriculture, l’industrie, le tourisme, n’est cependant pas négligeable. En outre, l’artisanat artistique revêt une grande importance au point de vue culturel, social et touristique: il aide notre montagnard à boucler son budget; il remplit agréablement et moralement ses longues soirées hivernales; il lui donne le goût de la culture, les profondes jouissances de la création; l’art populaire ajoute un attrait de plus à notre Région; vendus aux touristes de passage ou exportés directement, les produits de notre artisanat contribuent à faire connaître notre Vallée en Italie et à l’étranger. Enfin, il ne faut pas oublier que l’avenir de notre petit artisanat traditionnel dépend presque exclusivement de sa partie artistique. En effet, à notre époque d’industrialisation et de mécanisation toujours plus intenses, une augmentation de la demande d’objets agricoles ou ménagers en bois, fabriqués par des petits artisans, est tout à fait inconcevable. Par contre, l’augmentation de la demande d’objets artistiques n’a. rien que de parfaitement normal, étant donné qu’elle s’accorde parfaitement avec le développement du tourisme, la pénétration de la culture dans les masses et l’élévation du standard de vie général. Le marché des objets agricoles et ménagers est destiné à rester local, tandis que le marché des objets d’art est illimité.
L’Administration Régionale a compris dès le début cette importance de l’artisanat artistique : elle a créé à Aoste la boutique de l’Artisanat Valdôtain; elle distribue chaque année pour plus d’un million de prix aux exposants; enfin, profitant de la prochaine ouverture des tunnels du M. Blanc et du Grand-St.-Bernard, elle va donner à la foire de St.-Ours un caractère international qui étendra le marché de notre production artisanale.
Cette internationalisation ne nuira pas au caractère traditionnel de notre Foire. Au contraire, en devenant européenne la Foire de Saint-Ours redeviendra ce qu’elle était autrefois, quand nos voisins du nord et de l’ouest fréquentaient nos marchés, et nous les leurs.
Le Peuple Valdôtain février 1964