Une récente interview du professeur Robert Louvin parue dans « La Stampa » au sujet du conflit entre l’État et la Région (qui avait pris à un certain moment des allures rappelant vaguement les négociations d’un souk nord-africain) au sujet de la loi régionale stupidement surnommée « anti-D.P.C.M. », explique clairement la différence d’attitude de feu le gouvernement Conte vis-à-vis de la Vallée d’Aoste et du Tyrol du Sud : ce dernier a fait valoir, a-t-il affirmé, « una capacità relazionale particolare nei confronti del governo Conte che non si poteva permettere uno scontro aperto con una forza politica determinante per la sopravvivenza dell’esecutivo. Il ministro Boccia aveva minacciato l’impugnativa, ma hanno finito per prevalere ragioni di opportunità politica di altro segno ».
Je rappelle, de ma part, qu’en plus des raisons contingentes que M. Louvin mentionne avec raison, il y a une condition structurelle qui distingue l’autonomie sud-tyrolienne par rapport à celle de la Vallée d’Aoste : une différence que les paysans valdôtains qui défilaient dans les rues sous les drapeaux de l’Union Valdôtaine dans l’après-guerre comprenaient fort bien, alors qu’elle échappait apparemment à un intellectuel de la taille de Frédéric Chabod. Je parle de la « garantie internationale », dont l’absence consigne le statut spécial de notre Région au domaine de la « garantie constitutionnelle », autrement dit aux marchandages sur les « normes d’application » et, en cas de conflit, à l’interprétation d’un organe interne à l’une des parties en cause.
La Cour Constitutionnelle a donc tranché en affirmant la compétence exclusive de l’État en matière de « prophylaxie internationale », s’agissant en l’espèce d’une pandémie globale, d’après l’article 117, lettre –q), de la Constitution italienne. Rien n’a été dit au sujet de l’instrument juridique utilisé par l’État pour exercer cette compétence, à savoir le D.P.C.M. (Décret du Président du Conseil des Ministres) – un acte administratif qui empiète sur les droits fondamentaux des citoyens, et dont la légitimité a été mise en doute par des constitutionalistes chevronnés.
Cela dit, en passant du monde des normes juridiques au monde réel, je me demande quelle est la logique d’après laquelle la réglementation en matière de « prophylaxie internationale » et de « pandémie globale » devrait être livrée à l’arbitraire d’un État-nation plutôt qu’à une institution supranationale ! Il suffit de constater quelle a été la réaction des différents États de l’Union Européenne (pour ne pas aller plus loin) face à la contagion, et particulièrement la gestion bordélique de l’ « affaire AstraZenica », pour comprendre combien il serait urgent que certains domaines, revendiqués par les États-nations au nom de la « souveraineté nationale », soient enfin attribuées à un stade supérieur – dans notre cas, à l’Union Européenne. On pourrait ainsi espérer que les citoyens soient amenés petit à petit à se rendre mieux compte qu’elle est autre chose qu’un comité d’affaires géré par les banquiers de Francfort.
Le même discours s’applique à d’autres domaines tout aussi susceptibles de soulever l’intérêt de tout citoyen, par exemple l’attribution de la citoyenneté aux immigrés. Le nouveau secrétaire du PD, devant s’inventer quelque chose pour avoir l’air de « dire qualcosa di sinistra », a ressuscité la question du « ius soli », tout en sachant pertinemment qu’il s’agit d’un sujet que l’actuel gouvernement n’a aucune volonté d’affronter. On feint d’ignorer que, si quelqu’un devient citoyen italien (ou français, ou espagnol, etc.), il devient en même temps, automatiquement, citoyen de l’Union Européenne. Quel est donc le sens de laisser la compétence en cette matière aux différents États-membres, ayant chacun sa législation « souveraine » ? Et quel est le sens d’avoir en Europe un ministre des affaires étrangères pour chaque État-membre dans un monde dominé par trois superpuissances en concurrence, qui considèrent notre continent comme un terrain de conquête (sinon comme un champ de bataille) ?
Les exemples montrant la nécessité d’une meilleure intégration politique entre les États-nations de l’Europe pourraient se multiplier, dans les domaines stratégiques d’intérêt continental. Par contre, on constate que le législateur européen intervient dans des secteurs surprenants, pour règlementer en détail, par exemple, les ingrédients pour la fabrication de la bière, la longueur des bananes d’importation plutôt que les dimensions des fruits de mer ! des normes qui peuvent paraître absurdes, si on ignore qu’elles sont le résultat de la concurrence entre les puissantes lobbies économiques qui pèsent lourd au niveau communautaire. Si le cadre européen est tel qu’il est, il n’est pas étonnant qu’au niveau des États-nations les décisions concernant l’ouverture ou la fermeture d’une station de ski au sommet d’une vallée alpine soient prises dans un bureau de Palazzo Chigi. C’est logique. Mais c’est une logique à renverser intégralement.
Djeyar