Alors que Raffaele Fitto, candidat à la vice-présidence de la Commission européenne pour le portefeuille de la Cohésion et des Réformes, sera questionné par les élus européens mardi, des inquiétudes s’expriment sur la tentative de centralisation des fonds destinés aux collectivités locales, qui passeraient sous le contrôle des États.
Lorsque le journal POLITICO a révélé le 5 octobre dernier que le programme pour la Cohésion Européenne pourrait passer d’une gestion directe des régions et des collectivités locales à une redistribution indirecte de la part des États, une véritable boîte de Pandore politique s’est ouverte.
Le budget de sept ans, qui couvrira les années 2028 à 2034, représente plus de 1200 milliards d’euros et alimente plus de 530 programmes dans toute l’Europe. Parmi les fonds dont disposent la Vallée d’Aoste et les Valdôtains, on retrouve : INTERREG ; le fonds Fonds européen de développement régional (FEDER, FESR en italien) ; le Fonds social européen + ; ou encore le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER/FEASR), qui en sont quelques exemples connus.
Selon POLITICO, le document informel montrerait que la Commission européenne aurait l’intention d’incrémenter les démarches à suivre pour obtenir ces fonds. Pour ce faire, les 530 et quelques programmes seraient unifiés dans une « cagnotte » pour chaque État, à qui il serait ensuite demandé de redistribuer ces fonds aux régions et collectivités locales.
La mobilisation des régions et des collectivités locales
Dans une lettre ouverte à la Commission européenne, 134 régions, dont la Vallée d’Aoste, se sont déclarées en opposition à cette mesure. 11 autres régions italiennes de toutes les couleurs politiques s’y sont associées : Abruzzes, Campanie, Émilie-Romagne, Latium, Lombardie, Marches, Pouilles, Sardaigne, Toscane, Vénétie, ainsi que la province autonome du Sud-Tyrol. Les régions de 16 autres États membres (sur 27) ont également signé cette lettre.
Si la nomination d’un vice-président de la Commission ayant pour compétences la cohésion et les réformes, représente, pour les régions, « une forte reconnaissance de l’importance et de l’actualité de la politique de cohésion pour toutes les régions d’Europe », les signataires « s’opposent à la proposition indiquée dans les orientations politiques », qui serait celle de centraliser les budgets de cohésion, pays par pays.
L’opposition au projet de centralisation retentit aussi au sein des institutions et associations européennes représentant les régions. C’est le cas des Comité des Régions, institution consultative et représentative des pouvoirs locaux, où le président açorien Vasco Alves Cordeiro avait déjà exprimé sa préoccupation en juin. En début d’octobre, Cordeiro a défini cette initiative comme « inacceptable », insistant qu’elle « menaçerait le futur du projet européen, car elle exclurait les régions et les villes, au lieu de les inclure ». Sur le même fil, le président Filip Reinhag de la Conférence des Régions périphériques maritimes (CPRM), porte parole de plus de 150 territoires, a targué la possibilité de centraliser les fonds de cohésion de « grave erreur ».
Même certaines grandes villes gouvernées par des modérés de droite font savoir leur mécontentement. Par exemple, les maires de Gdansk en Pologne (6ème plus grande ville de Pologne) et le maire de Cluj-Napoca (2ème plus grande ville de Roumanie), tous deux affiliés au Parti populaire européen (PPE) de la Présidente von der Leyen, ont déjà déclaré leur opposition à la mesure au journal en ligne Euractiv, une semaine après l’appel des régions.
« Presque une sorte d’explosion au Parlement européen »
Alors que le Commissaire désigné pour la Cohésion et les Réformes, Raffele Fitto, se prépare à être écouté par les élus du Parlement européen ce mardi 12 novembre, certains partis politiques ont déjà exprimé leur opposition à sa prise de poste. Fitto sera interrogé par la Commission du Développement régional du Parlement.
L’Alliance Libre Européenne (ALE), famille politique européenne à laquelle appartient l’Union Valdôtaine, a déclaré son adhésion à la lettre des 134 régions et appelé à protéger le financement direct aux régions et collectivités locales. Une semaine plus tard, six ministres de l’Europe et des politiques régionales du Socialistes et Démocrates (S&D), ainsi que les présidents des socialistes européens au Parlement européen et au Comité des Régions, ont signé une déclaration appelant à une politique de cohésion basée sur la décentralisation. Le chef de file des socialistes français au Parlement européen, Raphaël Glucksmann, a affirmé lundi dernier que la vice-présidence de la Commission ne peut pas « aller à l’extrême-droite italienne ». Mardi dernier, les Verts ont également déclaré leur opposition à Fitto. Les libéraux de Renew avaient également « déploré » la nomination du choix du gouvernement de Giorgia Meloni en septembre dernier.
Sonnettes d’alarme également chez les chrétiens-démocrates. Monika Hohlmeier, eurodéputée du centre-droit conservateur bavarois, a récemment affirmé à POLITICO que le débat sur la centralisation du budget avait créé « presque une sorte d’explosion au Parlement européen ».
Tirs croisés
Alors que les régions d’Europe, réunies à Varsovie, avaient réitéré leur appel contre la centralisation de la politique de cohésion, et à laquelle s’était à nouveau jointe la Vallée d’Aoste à travers notre assesseur unioniste Luciano Caveri, le parti populaire et les ultraconservateurs de Giorgia Meloni ont fait front commun : si l’audition de Fitto échoue, le porte-parole de Fratelli d’Italia au Parlement, dont le parti avait voté contre la nomination de von der Leyen à la présidence de la Commission, menace de couler la commissaire désignée de centre-gauche Teresa Ribera. Depuis Pékin, le leader de Forza Italia (PPE) s’est déclaré optimiste et confiant que Fitto surmonterait aux auditions.
Le sort du commissaire désigné et de la centralisation de la politique européenne de cohésion pourraient finalement dépendre du PD d’Elly Schlein, qui représente le groupe le plus large au sein du groupe des socialistes et des démocrates. Elle a adopté une posture attentiste : si elle se plaint d’une Commission européenne « trop à droite », elle s’est aussi déclarée pour « un rôle de poids pour l’Italie ». Rendez-vous mardi matin, donc, pour découvrir si cela se fera aux dépens des régions, dont la Vallée d’Aoste.
Roland Martial