Le 9 mai, comme chaque année, on rappelle en toute Europe le début du parcours qui a bâti l’Union Européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui : c’est le jour dans lequel la déclaration du ministre français Robert Schuman, qui a lancé la constitution de la communauté européenne du charbon et de l’acier, a été proposée.
C’était le 1950 et les pays européens se trouvaient dans un contexte social et économique encore ravagé des conséquences de la guerre, la politique étant engagée pour trouver des solutions pour une paix durable. Ce traité précurseur, qui pose les bases pour l’intégration européenne, avait le but évident de chercher un chemin de paix à travers des accords économiques entre les pays qui sortaient de positions opposées des longues et sanglantes années de guerre.
Evidemment ce jour est devenu un moment symbolique pour rappeler un parcours très long et complexe qui est, dans les faits, loin d’être complètement achevé. Schuman lui-même soutenait que l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait.
Une première considération à retenir, pour ce dernier 9 mai, est indéniablement la visite d’un très fort impacte symbolique de la Présidente de la Commission Européenne Ursula Von der Leyen à Kiev, dans le cœur du conflit Ukrainien et dans un pays qui a commencé un parcours, sans doute semé d’embûches, pour entrer dans l’Union Européenne. Un élan dans lequel l’Ukraine s’est lancée exactement dans le sillon tracé au tout premier début de ce long parcours il y a 70 ans : sans aucun doute préconisant des facilitations économiques et commerciales, mais surtout l’espoir d’une paix durable.
En tant que Valdôtains cette fête d’Europe doit être l’occasion pour rappeler les grands efforts faits et l’importante contribution que notre petit peuple a donné dans le débat en particulier souhaitant une vision d’Europe qui soit représentative et expression des terroirs et des peuples et non pas des états souverains, dans un esprit totalement fédéraliste. La contribution est absolument exceptionnelle, surtout en considérant les dimensions très réduites de notre réalité, d’une envergure internationale et surtout d’une incroyable actualité encore après des décennies.
Je pense d’abord à l’absolue et extraordinaire clairvoyance des contenus de la déclaration souscrite par Emile Chanoux, Ernest Page -sans oublier la contribution écrite de Federico Chabod- avec les représentants des vallées du Piémont oriental il y a 80 ans à Chivasso. Une carte qui est encore de nos jours un phare pour toute réalité qui cherche des formes nouvelles d’autonomie et d’autodétermination, mais aussi un document rayonnant une vision fédéraliste globale tant pour l’Italie que pour l’Europe. De plus, si nous réfléchissons un instant au moment dans lequel ces idées sont surgies, à quelque semaine de l’armistice du 8 septembre et dans le plein de la lutte de résistance, l’ampleur et la dimension du message sont encore plus évidents.
Mais il y a également d’autres contributions d’une extraordinaire prévoyance, en particulier si lues avec les yeux d’aujourd’hui, qui ont eu comme protagoniste notamment le premier Président de l’Union Valdôtaine Severino Caveri. Avec des années d’avance sur les bien plus connues considérations concernant la vision fédéraliste de l’Europe et du fédéralisme intégral de Denis Rougemont, Alexandre Marc ou encore de Guy Héraud, Severino Caveri écrivait sur ses cahiers, contenus repris dans la publication Sous les arbres toujours en fleurs, des réflexions que je n’hésite pas à définir d’une clairvoyance de génie.
Caveri écrivait que ce n’est pas de l’esprit de conquête, mais de l’esprit d’égalité et d’alliance que pourra surgir la nouvelle Europe.
Il préconisait même l’idée d’une monnaie unique » qui paiera le travail à Paris, à Berlin, à Rome et à Moscou » et en même temps il mettait en garde les sceptiques qui considéraient la diversité des peuples d’Europe comme un obstacle infranchissable à la confédération européenne en observant avec bienveillance qu’il y avait plus de différence de mentalité, de goûts et de mœurs entre un piémontais et un sicilien, qu’entre un lombard et un lyonnais.
Le cœur de la pensée, qui est le noyau le plus profond et aussi le plus actuel, concerne la vision fédéraliste de l’Europe, où le fédéralisme est décrit comme un instrument pour unir des éléments différents, avec le grand mérite de laisser à chaque groupe ethnique et linguistique le cachet qui lui est propre.
Severino Caveri dans les années soixante fut Président d’un organisme international : l’union fédéraliste des ethnies de l’Europe, un élément pas trop connu, qui vaut la peine de rappeler en cette occasion.
Plus proche à nos jours, un autre Unioniste, Bruno Salvadori a travaillé avec passion et dévouement pour la cause d’une vision fédéraliste et d’une Europe représentation des peuples, en tachant de trouver une synthèse et une cohésion entre les différentes minorités, une action interrompue par sa tragique mort dans un accident de voiture à l’âge de 38 ans. Un travail qui n’a pas pu être abouti, mais qui a obtenu une juste reconnaissance au niveau national et pas seulement.
Les défis ouverts sont encore nombreux et les efforts que les mouvements politiques et le Conseil Régional sont appelés à faire sont importants pour la Vallée d’Aoste en Europe qu’on rêvait et qu’on rêve : d’une part nous avons à retisser les rapports avec les autres minorités ethniques et linguistiques d’Europe, l’adhésion renouvelée à l’Alliance Libre Européenne est un pas important dans cette direction que l’Union Valdôtaine a fait, de l’autre nous devons relancer les vieux défis visant à donner une juste représentativité politique des minorité au sein du parlement européen.
Nos jeunes ont déjà complètement brisé les chaînes des limites nationales, d’une façon totalement naturelle, et se sentent citoyens européens avant encore qu’italiens : une maturation générationnelle qui est le fruit aussi des visions éclairées du passé que j’ai voulu rappeler ici.
Je veux terminer ma petite réflexion encore avec Severino Caveri qui disait : Comme elle est immense, devant l’Histoire, la responsabilité des chefs, qui demain, après avoir gagné la guerre, devront gagner la paix! Ces hommes devront avoir le courage de briser le dogme de la souveraineté absolue de l’état nation. Le courage est le prix de la liberté.
Erik Lavevaz