Les polémiques suscitées par la publicité d’un célèbre fromage à pâte dure italien ont eu un large écho tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. Cependant, il est indéniable que le fait de travailler 365 jours par an est la norme pour beaucoup de nos agriculteurs. Nous avons donc voulu aller entendre de certains d’entre eux ce qu’ils en pensent.
Fabio Tonelli, jeune éleveur de chèvres de Verrès qui a démarré son entreprise dès la fin de ses études en 2012, possède maintenant environ quatre-vingt-dix têtes de bétail et s’occupe, tout seul, principalement de la production de lait qu’il vend cru à une laiterie. «Ce choix de vie a été fait par passion et pas pour tradition familiale. Avant même de terminer l’école, quand j’étais encore enfant, je m’occupais déjà d’animaux, poussé par le grand amour que j’ai toujours ressenti pour eux». Fabio, qui poste souvent sur les réseaux sociaux ses observations humoristiques et mordantes sur la réalité des agriculteurs, à propos de cette pub nous dit qu’ : «il y a beaucoup de « Renatini » dans notre monde car c’est nous, les agriculteurs, les éleveurs, les bergers qui ne connaissons pas les saisons. C’est nous, qui devons nous occuper des animaux 24 heures sur 24 et qui parfois devons veiller même la nuit car une meute de loups pourrait frustrer le travail d’une vie dans quelques heures ». Fabio nous avoue qu’il ne peut pas comprendre comment l’ »l’autre » monde, celui en dehors de la réalité des agriculteurs, qu’il qualifie de « tordu », peut défendre le loup avec acharnement et ne pas s’inquiéter aussi des sacrifices des éleveurs, «Peut-être que le monde « tordu » comprendra lorsqu’il ne trouvera que du plastique dans l’assiette»!
Martine Peretto a grandi dans une maison où même à Noël, on mange tous ensemble mais à 15 heures on se lève et on va travailler à l’étable car sa mère, Joly Attilia, est propriétaire d’une exploitation agricole familiale bien connue, où travaille également son frère Roberto. «Nous avons à Pont-Saint-Martin une quarantaine de vaches laitières et en été nous montons à Gressoney avec une centaine de têtes de bétail au total, dont certains en accueil estival (« affida estiva »). Mais Martine, qui est une femme décidée, nous dit «moi dans toute cette polémique je vois aussi une certaine provocation» et puisqu’elle n’aime pas les gens qui s’apitoient sur leur sort, elle poursuit: «le travail c’est beaucoup, c’est dur et souvent mal payé, mais, et je m’adresse surtout aux jeunes qui veulent faire ce métier, il faut passer à l’action, il faut aller vers le renouveau, vers les innovations. C’est-à-dire il faut essayer de tout faire pour alléger la charge de travail, à la fois dans l’étable et dans les champs, en utilisant les nouvelles technologies». Martine voit un grand potentiel dans l’agriculture qui doit encore être mieux organisée et gérée: «je pense qu’on peut encore faire beaucoup et d’une manière différente. Du reste, surtout dans une réalité montagnarde comme la nôtre dans laquelle on concentre les accouchements des vaches en période hivernale, nous devons essayer de gagner du temps à dédier à nos autres activités et à nos familles».
Sans aucun doute, les marges d’amélioration du travail agricole sont encore larges, mais il est néanmoins, étrange de voir comment de nombreuses parties les agriculteurs reçoivent, ces derniers temps, des critiques et des conseils même de ceux qui ne semblent pas avoir aucune expérience dans le secteur.
Lucio Bosonin est très sensible à ce sujet et il ne comprend pas comment il est possible que beaucoup de gens se permettent de critiquer ou de faire des blagues sur les agriculteurs: «hier, par exemple, j’étais à une foire dans le Piémont et j’ai entendu deux personnes au restaurant, une secrétaire et un maçon, critiquer la façon dont on laissait paître les vaches dans les prés adjacents. Je n’ai pas pu résister et je suis intervenu en disant que moi, je ne me permettrais jamais de mettre ma bouche dans leur travail et de suggérer comment remplir une facture ou construire un mur de pierre et je m’attendrais le même traitement de leur part». Pour Bosonin l’indignation faisant suite au spot publicitaire est une preuve supplémentaire de la méconnaissance de la société moderne de la réalité rurale, surtout de celle faite de petites exploitations agricoles familiales : «et le plus drôle c’est que souvent ces mêmes petites entreprises sont louées pour leur capacité à survivre dans des environnements hostiles, elles sont définies comme les protagonistes de l’avenir plus « vert » et donc soutenable, mais tout compte fait le grand public sait très peu sur le temps, la persévérance, l’abnégation requis de ceux qui y travaillent ».
Bosonin, 48 ans de Vert, a un emploi à temps partiel et l’autre moitié du temps est agriculteur. Il possède quelques vignobles et quelques prés et son travail principal est de cultiver le foin qu’il vend ensuite à un éleveur. Il a aussi une quinzaine de têtes de bétail dont seulement deux à traire. «C’est incroyable de voir que même sur la question du loup il y a des gens, qui sont totalement en dehors du secteur, qui te font la morale. Parfois il semble que les agriculteurs soient considérés comme la dernière roue du carrosse et tout le monde peut se permettre de dire ce que nous devons faire. Pourtant il existe des organes chargés du contrôle, les gardes forestiers et les carabiniers. Ce sont eux, et seulement eux, qui doivent nous dire quoi faire».
Il se peut bien que les agriculteurs soient considérés par beaucoup comme la dernière roue du carrosse, mais rappelons-nous, sans cette roue, le monde ne va nulle part !