Dans son adolescence, Émile Chanoux se rendit compte qu’il ne connaissait pas la langue française aussi bien qu’il l’aurait souhaité. Il écrivit: “Un jour, je dus écrire une lettre en français et je constatai que j’avais beaucoup plus de difficultés à manier cette langue que je n’en avais à manier la langue italienne. J’en fus mortifié, car je me rendis compte que c’était là une diminution de ma personnalité”. Il réagit, donc! Il réagit en s’adonnant à l’étude de la langue que les Valdôtains parlaient depuis des siécles. En même temps, il commença à écrire pour ”La Vallée d’Aoste”, le journal régionaliste des émigrés, imprimé à Paris. C’est à partir de sa réappropriation de cette langue qui se déclenchent ses premières réflexions sur le concept de patrie, d’appartenance à un peuple, de conscience de son identité.
Moi aussi, que pendant toute mon enfance j’avais eu des notes mauvaises en français car j’avais du mal à apprendre les accords et les conjugaisons des verbes, lorsque j’ai atteint mon adolescence et j’ai constaté l’énorme déséquilibre des connaissances que j’avais entre les deux langues, j’ai réagi. J’ai réagi avec amertume au début et puis avec rage, car je me suis senti fraudée d’un droit, d’une partie de mon histoire, d’une caractéristique de l’dentité du peuple duquel je faisais partie. J’ai donc fait tout ce qui était en mon pouvoir pour combler mes lacunes linguistiques (à cette époque, le début des années 80, hélas, il n’y avait que la lecture… ), mais surtout je me suis inscrite à l’Union Valdôtaine! Seul et unique mouvement qui a su comprendre mon désarroi, donner des réponses à mes exigences, réorienter ma colère vers l’intérêt pour la politique.
Aujourd’hui, le désir de se réapproprier du français est passé à l’arrière-plan. Du reste, nous devons faire face à d’immenses problèmes: une autonomie boiteuse à cause de la pénurie de ressources financières, un tissu économique ébranlé à recomposer, le secteur touristique à genoux pour la pandémie, des partis nationaux qui en criant des slogans vides de contenus s’emparent de tranches de notre électorat.. mais cependant, cherchons à ne pas oublier “notre” français! C’est à partir de là que beaucoup de bonnes choses sont arrivées.
Tiziana BALMA