Dans ces derniers mois, la discussion autour de la mise en œuvre de la réforme du titre V de la Constitution a repris de manière importante : il s’agit d’un parcours commencé dans le désormais lointain 2001, avec l’approbation de la loi constitutionnelle n. 3. Avant tout il y a eu les tentatives d’engager des procédures d’agrément de nouvelles formes d’autonomie de la part de trois Régions italiennes en 2017 – la Vénétie, la Lombardie et l’Émilie-Romagne – en application de l’article 116 troisième alinéa de la Constitution ; aujourd’hui le débat a connu un nouvel élan, avec le projet de loi proposé par le ministre Calderoli pour la mise en place de l’autonomie différenciée des Régions à statut ordinaire.
Bien évidemment, je n’ai pas de réponses définitives sur ce sujet (je suis plus à l’aise avec les équations différentielles et les particules élémentaires qu’avec les normes constitutionnelles). Je me permets toutefois de partager avec les lecteurs mon humble point de vue, sans prétention d’être techniquement irréprochable.
En tant que fédéralistes convaincus, nous ne pouvons que nous féliciter pour l’éventuel agrément de toute forme d’autonomie ou de possibilité d’autogouvernement des territoires et des Régions.
Cependant, une réforme de cette ampleur doit être gérée dans le respect des principes généraux des dispositions constitutionnelles, et non pas seulement par les seules dispositions de l’article 116 : notamment les principes de subsidiarité, de différenciation et d’adéquation prévus en particulier dans les autres articles du titre V de la Constitution. N’aurait-il pas mieux valu, plutôt que se lancer dans le processus complexe d’application de l’article 116, de raisonner en termes d’application organique du titre V de la Constitution, aux fins d’une gestion organisationnelle et fonctionnelle plus complète et rationnelle des territoires ?
La proposition Calderoli semblerait vouloir imposer une lecture formaliste et asystémique de l’article 116 : une approche qu’on dirait même ne pas être parfaitement alignée avec le contenu des autres articles du titre V. Je pense, par exemple, à la répartition des compétences prévue par l’article 117 ; ou encore (se penchant dans une analyse plus large) on pourrait même considérer que cette approche, d’une certaine manière, puisse remettre en cause la vision et la volonté générale de la réforme du titre V qui a subverti les relations traditionnelles entre l’État central et les collectivités locales.
Avec l’interprétation de Calderoli on dirait presque que les lacunes dans la mise en œuvre de la prétendue décentralisation de l’État et de l’autonomie des collectivités locales soient en quelque sorte remplacées par l’attribution aux Régions de fonctions législatives – et en conséquence administratives – au mépris de l’article 118 modifié par la réforme, qui attribue les fonctions administratives prioritairement aux municipalités.
Tout cela concernera uniquement les Régions à statut ordinaire. Il faut rappeler que la même loi constitutionnelle 3/2001 prévoit expressément que, jusqu’à la modification de leurs statuts, aux Régions à statut spécial et aux Provinces autonomes s’appliquent les dispositions qui amènent des formes d’autonomies plus larges. Un autre profil important s’ouvre donc pour les autonomies historiques : il faudra d’une part veiller à l’application de cet automatisme « constitutionnel » et d’autre part obtenir l’insertion du principe de l’entente préalable pour n’importe quelle modification de notre statut spécial.
Mais en est-il vraiment ainsi ? Notre spécialité est-elle complètement à l’abri de tout danger ?
Revenant à la proposition Calderoli, elle semblerait vouloir accélérer la mise en œuvre de l’article 116 alinéa 3, mais sans « préparation préalable du terrain », notamment avec l’application complète, nécessaire et incontournable du federalismo fiscale théorisé (et peu appliqué) par la legge delega n. 42 du 2009.
Mais où en sommes-nous sur ce point ?
On est loin d’avoir achevé le federalismo fiscale tel qu’il était théorisé. Le PNRR lui-même envisage son achèvement définitif dans les délais fixés par le plan. L’état des finances des collectivités territoriales est resté quasiment inchangé de 2011 à aujourd’hui, avec d’une part un système de recettes des Régions non encore réformé et, d’autre part, une gestion des dépenses qui doit assurer le respect des équilibres budgétaires et surtout la contribution à l’assainissement des finances publiques.
Pour une mise en œuvre complète du fédéralisme fiscal, les sources de financement des Régions à statut ordinaire pour la fourniture des services essentiels dans les domaines de la santé, de l’assistance, de l’éducation et des dépenses d’investissement des transports locaux devront être constituées que par des recettes fiscales – convenablement remodulées et éventuellement objet de péréquation – et des recettes propres.
Cela signifie que le système de transferts fiscaux et de péréquation basé sur les dépenses historiques devra être complètement dépassé.
Actuellement, les sources de financement des Régions à statut ordinaire sont constituées par les impôts et leurs recettes propres, la coparticipation des recettes de TVA et les éventuels transferts de péréquation pour les territoires les plus défavorisés. À souligner que les possibilités de manœuvre du levier fiscal par les Régions sont très limitées : chaque Région peut déterminer le taux dans une fourchette assez étroite fixée par l’Etat.
Le processus de mise en œuvre du fédéralisme fiscal pour ces Régions passe par la transformation des transferts de l’état en recettes fiscales et par conséquent aussi par le recalcul nécessaire des deux principales recettes fiscales : l’addizionale regionale IRPEF et la coparticipation des recettes de TVA. Cela dit, Constitution à la main, il s’agit d’une révolution qui doit être gérée en tenant compte de la territorialité et de la définition des modalités de péréquation. Un défi très complexe qui aura très probablement des répercussions sur les Régions à statut spécial.
Le point crucial est notamment l’addizionale regionale IRPEF. Les préceptes constitutionnels, explicités dans la loi de 2009, prévoient un montant inchangé, dans l’application du fédéralisme fiscal, sur le prélèvement final de l’impôt sur les citoyens : cela signifie, très simplement, que lorsque les Régions devront augmenter l’addizionale regionale nécessaire pour la couverture des transferts étatiques supprimés, on devra nécessairement diminuer proportionnellement le taux de compétence de l’état.
C’est un premier gros inconvénient potentiel. Par ailleurs, comme le soulignent certains constitutionnalistes et finalement la commission parlementaire pour la mise en œuvre du fédéralisme fiscal dans son analyse, une baisse de ce taux uniquement dans les Régions à statut ordinaire créerait une inégalité de traitement anticonstitutionnelle entre les citoyens.
Hélas, ce n’est pas le seul aspect qui peut générer de l’inquiétude dans notre réalité : il y en a d’autres, qui transpirent de façon plus ou moins voilée dans les différents rapports de la commission parlementaire pour la mise en œuvre du fédéralisme fiscal : des attentions qui apparaissent comme de grandes lentilles de l’état sur le financement des Autonomies spéciales.
La question autour de laquelle se concentre souvent le débat est de savoir si les ressources plus importantes éventuellement garanties à chaque autonomie sur la base des statuts respectifs correspondent à des fonctions toujours plus étendues. Il ne faut pas non plus oublier, dans cette analyse, que les dépenses publiques par habitant dans les autonomies spéciales du nord sont supérieures à la moyenne nationale, elles sont quasiment alignées en Sardaigne et sont réduites d’environ 16 % par rapport à cette moyenne en Sicile.
Ainsi, dans ce débat loin d’être clos, la définition des modalités de mise en œuvre du fédéralisme fiscal tant pour les Régions à statut spécial que pour les Régions à statut ordinaire est encore largement en cours. En particulier, en ce qui concerne les livelli essenziali delle prestazioni (LEP) et les coûts et besoins standard, nous avons souligné à plusieurs reprises au Gouvernement la nécessité que ces indicateurs ne représentent pas un plafond à la possibilité d’exercer les délégations de pouvoirs, ni qui ne se traduisent en fait par un mode d’exercice restreint de celui-ci. Il y a un besoin, évident dans les zones de montagne comme la nôtre, d’adapter la gestion des compétences aux spécificités des territoires.
Il devient difficile d’imaginer l’application des coûts standard qui, bien que non applicables à l’heure actuelle, ont souvent été demandés pour les autonomies spéciales aussi. Il suffit de penser au coût par habitant d’enfants fréquentant une école primaire romaine, peut-être avec des milliers d’élèves, comparé à celui d’enfants fréquentant une école de montagne avec une dizaine d’élèves. Comment pourrait-on entrer dans ces logiques statistiques ?
Au contraire, nous devons exiger que dans la mise en œuvre de tout type de réforme constitutionnelle, actuelle ou future, les structures financières des Autonomies spéciales soient protégées, surtout dans un moment où le projet de réforme fiscale concerne le produit des impôts sur lesquels se fonde l’exercice des compétences de notre Autonomie, tout en étant conscients de la nécessité de concilier ces besoins essentiels avec les obligations constitutionnelles de solidarité, entendues comme le soutien mutuel de toutes les composantes de la République.
Sans réelle autonomie financière, il ne peut y avoir d’autonomie politique : l’enjeu est donc total.
Erik LAVEVAZ