Bruno Salvadori, il y a 45 ans, à l’âge de 38 ans, perdait la vie dans un tragique accident de la route sur l’autoroute Savone-Turin et il quitta sa femme Gisella du même âge et son fils Massimo de 10 ans. Il était encore très jeune, et pourtant il a laissé une empreinte profonde dans l’histoire de la Vallée d’Aoste. Bruno, alors jeune étudiant, avait créé le C.U.V. (Centre universitaire valdôtain) pour aider les étudiants valdôtains qui se rendaient hors de la Vallée pour terminer leurs études. Journaliste, vulgarisateur culturel, auteur de plusieurs livres, il réussit à faire de l’Autonomie et du Fédéralisme un sujet de discussion même au niveau « national ». Il fut considéré comme un idéologue : en réalité, il étudia l’histoire et les écrits, les principes, les valeurs et les propositions d’Émile Chanoux, le martyr de la résistance valdôtaine, et chercha à les appliquer.
Parmi les nombreuses choses qu’il fit et les innombrables choses qu’il écrivit, il reste une liste de thématiques très vaste : il s’occupa pratiquement de tout ! De l’histoire, de la culture, des traditions et de l’ économie Son ambition politique, son intelligence ainsi que sa détermination, l’auraient sans aucun doute conduit à réaliser des objectifs encore plus importants. Il faisait partie de cette génération de « Valdôtains d’adoption » qui avaient réalisé une intégration totale. « Être Valdôtain n’est pas une question de race », s’imaginait-il une Vallée d’Aoste renouvelée, mais avec de solides racines dans le passé. Chanoux, Olivetti, Alexandre Marc, Denis de Rougemont, Altiero Spinelli furent une référence pour l’histoire du fédéralisme et de l’Europe. Conseiller régional en 1979, il fut l’animateur d’une expérience électorale singulière : il fut à la tête d’une coalition avec le symbole du Fédéralisme et de l’Union valdôtaine et se présenta dans toute l’Italie aux premières élections du Parlement européen, agrégeant les partis et mouvements autonomistes historiques et divers regroupements régionalistes, autonomistes et fédéralistes. En 2005, j’ai publié un livre sur Salvadori en langue française en défense et promotion de laquelle il se battit avec cohérence. Un deuxième livre sur Bruno, je l’ai écrit en italien en 2008 à la demande de différents mouvements qui avaient participé à la coalition de 1979. La mort prématurée de Bruno a laissé beaucoup de si… et beaucoup de mais… et nous sommes nombreux à nous demander ce qu’il serait advenu du Fédéralisme et de l’Européisme s’il n’avait pas disparu si prématurément. Son engagement fédéraliste a eu du poids et de l’influence même en dehors de la Vallée, à tel point qu’il fut considéré, à tort ou à raison, comme le père du « léghisme ». Mais que penserait Bruno Salvadori de la Ligue d’aujourd’hui ? À l’occasion des élections européennes de 1979, Bruno rencontra Umberto Bossi qui montra un grand intérêt pour le programme de la liste, devint activiste et promoteur en Lombardie et commença la formation et la collaboration qui conduisit Bruno à devenir le directeur du premier journal de la Ligue. Umberto Bossi doit tout à Bruno et l’a toujours reconnu, et en particulier la formation politique qui le conduisit à devenir le leader de la Ligue. Pour ces raisons, il lui dédia la salle de réunion du Parlement.
Bruno aurait pu devenir un leader et, avec sa détermination, essayer de transformer l’Italie en un État fédéral. Il aurait voulu confier aux Régions toutes les compétences, à l’exception de la politique étrangère, de la politique monétaire et de l’armée. C’est-à-dire à l’image de la Suisse, avec le respect des diversités linguistiques, culturelles et économiques, selon la formule « unité dans la diversité ». Fort de ma longue militance politique et de l’amitié qui me liait à lui, je peux affirmer avec certitude que Bruno n’aurait jamais imaginé une « Lega partito nazionale », « eurosceptique » et surtout pas alliée aux néo-fascistes, aux néo-nazis de France, d’Allemagne et d’autres pays d’Europe.
François Stévenin